14 Nov 2016 | AGIR, COMPRENDRE, DECIDER

 Pour que le big data ne génère pas le big bazard 

Auteurs : Henri Fraisse (NTTrade) , Pascal Gautier (AFNOR) , Isabelle Gapillout (VYATIOSYS) 

Le Groupe de Travail initialement libellé « la qualité à l’ère de l’empowerment » a rassemblé 9 contributeurs (et un relecteur) qui se sont réunis 5 fois et ont validé à l’unanimité la nouvelle appellation « la qualité à l’ère du Big Data ». Par de là, le nouveau pouvoir donné aux clients ce sont les impacts de l’explosion des données et du numérique sur tous les acteurs de la chaîne de valeurs qui ont retenu l’attention du GT 

Le Big data a été considéré comme l’expression la plus symbolique des évolutions en cours en particulier par son caractère accélérateur. 

1) Le big data c’est quoi ? 

2) Les enjeux associés pour les organisations 

3) Une première liste de vigilance pour le référentiel ISO 9001 

4) Quelques pistes pour les qualiticiens 

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Le Big data, c’est quoi ? : un univers de données, qui ré-invente le marketing , voir l’entreprise. Pour les experts il vaudrait mieux parler d’un ensemble de techniques numériques rassemblées sous l’acronyme SMACS : S pour social – M pour mobilité – A pour analytics, analyse des données, le Big Data sensus stricto – C pour cloud computing, calcul et stockage sur des serveurs informatiques distants connectés par Internet – S pour sécurité. Ce sont eux qui tirent la croissance du secteur numérique avec une progression de 20 %. 

Le Big Data se caractérise par ce que l’on nomme les 4V (A McAfeee & E Brynjolfsson 2013) 

  • Vitesse : Vitesse de capture, de traitement des données,
  • Véracité : Fiabilité des données, pertinence de l’algorithme utilisé 
  • Volume : Se mesure en zetta-octets c’est-à-dire en milliers de milliards de milliards d’octets, (IBM, avril 2015). 
  • Variété : les données proviennent de partout, (N.Glady, février 2014), on peut décomposer ces données en : 

> données externes non structurées. Ces données proviennent des réseaux sociaux, ou des User Generated Content, c’est-à-dire des recommandations, des avis, de la documentation générale dont la gestion n’est pas encore internalisée au processus de l’entreprise. Les données non structurées forment les 80% de données circulant sur le web (IBM, avril 2015). 

> données externes structurées. Ces données proviennent de panels, de sondages effectués par l’entreprise, ou de ses partenaires. 

> données internalisées générées par des systèmes internes comme un ERP ou un CRM. (ERP Progiciel de gestion intégré, CRM : logiciel de gestion de la relation clients) 

Toutes ces données forment un ensemble utilisable par l’entreprise, un écosystème de données, l’écosystème digital (Y. Lejeune, 2014). 

Les enjeux associés pour les organisations et en particulier l’entreprise 

On entre dans un monde de complexité et le Big data élargit la vision de l’entreprise en créant des opportunités et des menaces dans plusieurs dimensions. « L’ère du numérique, un nouvel âge de l’humanité » a écrit G Babinet . Il touche à l’ensemble des informations et nécessite une approche 

holistique et structurée intégrant de fortes contraintes techniques, conceptuelles et organisationnelles. Notre groupe de travail a identifié 5 principaux enjeux : technique, économique, organisationnel, de compétences (RH) et surtout éthique. 

2,1) La dimension technique. Elle est évidente dans la capture d’information (en particulier par les objets connectés), le traitement de l’information via les algorithmes et des variables de contrôle. Ces informations d’une nouvelle nature sont fondamentales pour la création de nouvelles valeurs ajoutées pour les métiers et l’entreprise. Le changement le plus important est lié au fait que les algorithmes sont aujourd’hui capables d’être efficaces même sur des données non structurées. Quelle confiance accorder dans les algorithmes difficilement vérifiables, travaillant sur des données partielles et raisonnant par corrélation sans l’analyse critique de la causalité. Se posent évidemment des enjeux de fiabilité, d’interopérabilité et de sécurisation des informations avec les risques de malveillance externe mais aussi interne. 

2,2) La dimension économique. Elle résulte de l’émergence de nouveaux « Business Models », en lien avec les enjeux du numérique, le Big Data ne se serait sans doute pas développé sans l’explosion des solutions nouvelles autour des réseaux sociaux et c’est très probablement dans le domaine de la nature même des métiers et des nouvelles offres de services que les impacts seront les plus forts aussi bien en terme d’innovation de rupture (exemple « mobilité partagée ») que d’optimisation des processus actuels. Pour les uns ce sont les schémas de distribution qui seront révolutionnés ; pour les autres, ce seront les chaînes de conception et de fabrication. Les rôles évoluent, les clients sont non seulement des décideurs informés (consom’acteur) mais ils deviennent aussi fournisseurs (fourni’acteur) en temps réel d’informations. La dimension usage devient le déterminant du produit ou du service et non plus celle de production/distribution ou de propriété. Le mode de consommation est lui aussi complètement bouleversé (collaboratif). Des solutions hybrides vont émerger (économie alternative, ESS…) 

2,3) La dimension ressources humaines. Elle est induite par les nouvelles compétences requises ; avec le big data, et les nouvelles relations induites au sein des organisations ; le champ des évolutions est vaste, les personnes en charge de ces travaux doivent avoir une bonne connaissance des données et du métier pour surmonter le « grand risque de biaiser les résultats », (N. Glady , février 2014) ou de faire des interprétations erronées. Autrement dit, avec le big data, arrivent de nouveaux produits, de nouveaux usages, de nouvelles solutions et de nouveaux services mais à condition que les compétences nouvelles permettent la prise en compte, la maîtrise, la gestion et l’amélioration de l’écosystème des mégadonnées au niveau de l’entreprise. De nouveaux métiers émergent : data scientist, chief digital officer, data evangelist…L’entreprise doit et devra donc intégrer ces nouvelles composantes à son système d’information, mais aussi à son système de management, de prise de décisions, de gouvernance… Toutes les fonctions de l’entreprise devront évoluer et s’adapter à ces nouvelles pratiques. 

2,4) La dimension organisationnelle. Les rôles et responsabilités de chacun sont bouleversés par l’usage des données, cela conduit à la modification des rapports et des relations hiérarchiques et transversales, et facilite le mode collaboratif. Selon l’Atelier de l’Emploi, janvier 2015, « la transformation digitale s’opère à tous les étages et concerne toutes les fonctions et les parties prenantes de l’entreprise. [ ] C’est véritablement par la co-construction de la co-responsabilité, le management, les collaborateurs et les partenaires sociaux, que l’entreprise va réussir le processus. (Atelier de l’Emploi, janvier 2015). Comme le disent Erik Brynjolfsson, et Andrew McAfee, avril-mai 2013, le Big data, une révolution du management, « plus les outils et la philosophie du Big data se répandront, plus les idées pré-existantes sur la valeur de l’expérience, la nature de l’expertise et les méthodes de gestion vont changer. Dans tous les secteurs les experts considèrent que le recours au Big data induira une révolution du management ». 

2,5) La dimension éthique, de transparence et de respect de l’individu. Le big data introduit de nouveaux risques au sein même de l’organisation, notamment concernant la manipulation, la confidentialité de certaines données « sensibles », la malveillance vis-à-vis des données que certains 

pourraient pratiquer pour exercer leur pouvoir sur une organisation. Le rôle de la CNIL est complexifié car la finalité des données est plus difficile à appréhender en amont dans les approches Big data du fait de la capture des données sans hypothèses a priori. La complexité des problèmes posés à l’individu, aux organisations et à la société nécessitera une combinatoire originale de moyens législatifs et normatifs fiscalité… tout en évitant le blocage juridique, et de comités de régulation. Une ébauche de solutions possibles serait d’établir des comités d’éthiques à différents niveaux (gouvernance et modération croisées, auto-contrôle entre pairs), de clarifier les normes communes permettant de protéger et respecter l’individu. 

Points clés dans le ISO 9001 chapitre 4 à 10 

Le groupe de travail de France Qualité a souhaité produire un résultat concret au-delà des débats passionnants qui animent les parties intéressées, à partir d’une base de travail largement reconnu en prenant en compte les chapitres de la nouvelle norme ISO9001 version 2015 et l’émergence du big data. Ce sont 27 points de vigilance qui ont été relevés et qui pourront enrichir la norme ISO9001 de management du système qualité, sous la forme de recommandations spécifiques. On résumera en 6 familles, les questions à traiter pratiquement dès à présent par les organisations ou entreprises 

  1. 1. Comment identifier et caractériser le nouvel éco-système dynamique, les interactions multicanales et leurs impacts sur la stratégie ? 
  2. 2. Quelle politique digitale ? 
  3. 3. Comment quantifier, maitriser les risques et opportunités induits : en particulier par acquisition/ utilisation des données (structure ouverte) ? 
  4. 4. Comment prendre en compte le rôle critique des fonctions supports qui deviennent une partie du savoir différentiant (compétences internes versus externes) ? 
  5. 5. Quel niveau de maîtrise opérationnelle conception, services et usages (hors contrôle direct, notion de juste réciprocité) ? 
  6. 6. Quel mode d’évaluation des performances (beaucoup plus complexes et différenciées) 
Quelques pistes d’approfondissements proposées 

1 – Si la qualité commence par l’écoute client, quelle place aura le big data ? L’utilisateur, l’usager sera-t-il au coeur des nouveaux business models issus du numérique ? Les révolutions précédentes techniques et industrielles ont mis en avant des moyens , et ont organisé les sociétés autour des silos de production ; le big data aux usages de devenir structurants après les révolutions industrielles. Accès à des biens physique via Amazon, interaction sociale via Facebook, les nouveaux modes de localisation des services permis par Google, les nouvelles applications fournies par Apple transforment les modes de mise en relation et génèrent de nouveaux services : le guichet devient virtuel. De par son historique France Qualité a une sensibilité clients donc utilisateurs. Les utilisateurs ne sont pas tous équivalents en termes de culture, capacité ou compétence. Il faut en outre garantir la confiance, or elle se dégrade ( cf dernières enquêtes sur confiance Web). Les sensibilités européennes et américaines ne sont pas les mêmes, ni les législations. Les gros capteurs et utilisateurs de données sont historiquement les états (analyse des attentes et des comportements), ils peuvent jouer un rôle majeur pour créer un espace propice à ces développements. Autant de sujets à considérer pour faire émerger la portabilité des données, dans un cadre souple, rassurant et protégé.et protégé. 

2 – Besoin exprimé, implicite versus besoin calculé, déterminé, conditionné par le big data ? 

Après la maîtrise des processus, le client est invité au coeur des processus, c’est la raison d’être des démarches qualité, mais il y a un risque que cette orientation soit menée à l’extrême pour mieux espionner client. Les informations initialement échangées dans une logique qualité ou pour la création et le maintien du lien social risquent d’être détournées et exploitées à d’autres fins plus lucratives. Il y a un risque que l’ambition invoquée de mieux servir le client, ouvre la voie à la manipulation et au conditionnement et vienne interférer avec les libertés individuelles. Le big data peut induire une perte de sensibilité au profil d’une logique purement commerciale et trompeuse. Le calcul et la consolidation des données modélisent une vision de la société via le comportement (suite d’actions), le calcul est probabiliste mais il est exploité de façon déterministe. Quelles logiques d’analyse et décisions retenir via par exemple les notions de scénarios, critères de sélections ? 

 

3 – Bouleversement d’une certaine structure sociale et de la reconnaissance des compétences :

Cette nouvelle façon de réassembler les acteurs permise par le big data recompose l’espace social. Certains voient l’avènement du mode collaboratif, d’autres la perte de la reconnaissance de son savoir faire. Tout devient découpé en tranche étanche : de l’expert au manoeuvre; le Taylorisme réapparait sous une nouvelle forme, conditionné par le big data. Si certains y voient le retour au collaboratif, d’autres s’en inquiètent.

4 – Evolution du concept de risque mais aussi de pilotage et de maîtrise

La relation au travail est modifiée et évolue vers plus de volatilité et d’imprévisibilité. L’organisation des sociétés évolue : perte des contre-maitres, « mesure » directe des performances du personnel, attribution d’une plus grande autonomie et de responsabilité mais affaiblissement de la maîtrise des modèles décisionnels humains.

5 – Une nouvelle agilité qui nécessite de nouveaux modes de définition et de maîtrise de la qualité

Lors des échanges réalisés à l’occasion de ce think tank avec les professionnels du numérique et des systèmes d’information, ceux-ci nous ont fortement suggérer de nous intéresser à la façon dont la qualité était réellement intégrée dans les projets numériques. Ce rapprochement nous parait pouvoir conduire à un éclairage nouveau et surtout ouvrir des pistes de progrès opérationnelles pour les différentes organisations de la TPE aux entités multi-acteurs telles que les nouvelles métropoles, les services publics, les activités en réseaux et les interfaces entre sphère privée et sphère publique)

Redéfinir ce qu’est la qualité (attendu par les clients) alors que l’approche traditionnelle héritée des modèles industriels du producteur au consommateur ( Ford, Toyota…) est désormais bousculée par la richesse des informations issues du big data. La refonte des processus ne se fera pas à la marge.

Il est illusoire de pouvoir tout planifier dans ce monde de plus en plus ouvert et incertain mais quelques lignes directrices peuvent permettre d’être plus efficace et plus pérenne. Les approches doivent se faire en cohérence l’usager étant le point d’articulation. Les recommandations du rapport A Oural « gouvernance des politiques numériques dans les territoires » sont éclairantes trois principes y sont réaffirmés : subsidiarité, mutualisation, droit à l’expérimentation. Le numérique va bouleverser aussi les modes de fabrication des politiques publiques ». Essayons dans cette accélération en cours de ne pas négliger le volet management et qualité et le développement des outils et des règles du jeu pour le copilote au côté du manager.

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